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Pour une histoire encore : Un conte

Histoire de l’homme au cœur d’artichaut.

 

 

 

Jean compte tant d’histoires d’amour que trois rayonnages d’une bibliothèque ne suffiraient pas pour répertorier ses conquêtes. Il n’en est pas fier, voire plutôt malheureux, car il est toujours sincère quand il tombe en amour, une expression qui n’est pas désuète pour décrire au mieux les violents coups de foudre dont il est frappé à rythme coutumier.

 

Un dimanche printanier dans le bois de Vincennes, en plein footing et en transpiration comme cette activité l’exige, il tombe à genoux devant une gracieuse joggeuse au charme irrésistible à cause d’une petite couette subtilement haut perchée. Il s’enflamme, se déclare sans la moindre retenue. Il ment si nécessaire.  Il jure ses grands dieux de la pureté  des sentiments qui l’assaillent et oublie les graviers qui meurtrissent les genoux, tous les sens aux aguets, l’olfactif flatté par les odeurs corporelles  de la belle. Son rythme cardiaque s’emballe. C’en est fait : Jean est amoureux et rien ne retiendra le cheval fougueux ; la belle devra céder. La force de l’amour n’est que sa divine faiblesse. Dès le lendemain, Jean déclarera sa flamme avec autant d’amour à une autre, croisée dans le métro, incapable qu’il est de résister à ce minois sérieux ou à ces yeux rieurs protégés par de trop belles lunettes.

 

Alors, bien sûr, la confusion règne en maître dans son emploi du temps. Alors, bien sûr, les scènes de ses conquêtes ponctuent son quotidien ce qui le stresse et l’oblige très souvent à se replier dans le dédain. Sa vie est un naufrage dont il est le témoin.

 

A l’aube de ses trente-trois ans, Jean sent très bien que pour avoir été, il faut être. Mais rien n’y fait : le même scénario tant de fois répété réjouit ses journées et déconstruit sa vie affective. L’inconscient détricote chaque jour ce que la conscience rêve de concrétiser. Et Jean oscille entre sa joie de vivre et son impossibilité d’être. De palpitations en palpitations, son cœur flanche. Il le sent ; il le sait. Il ne peut rien y faire. Nul thérapeute, même le plus haut perché, n’entend les hululements de son désespoir. Lui-même devient sourd à chaque fois que la foudre embrase son déséquilibre et le fait effeuiller toutes les femmes de la Terre à portée du cœur.  Mais Jean est loin d’imaginer le « pot aux roses » de son mal de vivre, si l’on accepte l’expression florale qui colle à sa réalité.

 

Un matin d’été où l’on se réveille en nage parce que le thermomètre refuse de descendre la nuit, un matin de canicule donc, Jean se réveille en eau comme tout un chacun mais s’étonne de la sécheresse étonnante de ses aisselles qu’il a très poilues et dégoulinantes de sueur jusqu’à auréoler ses chemises (à son grand désespoir) quand il se déclare aux quatre coins de Paris. Il ne sera pas le seul à s’étonner de cet épiphénomène qui lui vaudra la « une des journaux internationaux » dans les 48 heures à venir. Jean prête encore sa fatigue à la chaleur accablante et se dirige comme un automate vers la douche salvatrice qui le vivifiera. De l’eau froide et à forte pression, quoi de mieux. Le visage offert au pommeau et les yeux qui se ferment dans le ruissèlement.  L’eau froide qui surprend et apaise dans le même temps. Jean sourit et se masse les yeux. Il tâtonne à l’aveugle pour saisir le gel douche qu’il sait à sa portée. Il le trouve. Il aime la douceur de la noix de gel aux odeurs de miel, promesse de caresses d’une journée naissante. Il se sent ragaillardi, Jean. Qui prévoit la chute du pot de fleurs qui tombera sur sa tête ? Jean se savonne et butte sur le prénom de celle qui l’attend au creux de son lit. Il l’appellera « mon cœur », pour ne pas faire d’impair. Il ne ment pas Jean, elles sont toutes « son cœur ». Ses mains d’homme savonnent son corps d’homme avec satisfaction, comme le font tous les hommes.

 

Mais quand il lève le bras gauche, il découvre avec stupéfaction d’étonnantes radicelles, pleines de sève à croire, au milieu de poils humains, et toutes sorties des pores de sa peau victime d’une surprenante sécheresse. A peine a-t-il le temps de lever le bras droit pour constater de visu l’étrange plantation  qu’une subite syncope le prive de conscience. Jean s’effondre sur les galets polis de sa douche « design » dans un fracas qui sort du lit sa conquête, paniquée par la pâleur de son amant quand elle le découvre inerte. Il ne lui répond pas et gît sous la douche froide qui glace à son tour l’invitée démunie.

 

Quand Jean se réveille de ce « malaise vagal » dont le terme semble être à la mode, il a un masque d’oxygène sur le nez. Il est déjà branché et il peut constater que ses radicelles d’aisselles ont bien profité. Eau froide et sueur ont boosté les racines, inutile d’être jardinier pour comprendre les besoins d’un potager pour croître et empirer. L’équipe médicale après s’être pincée pour croire et accepter ce qu’elle a sous le nez questionne dans le désordre le patient allongé dans le SAMU qui fonce, toute sirène hurlante vers l’hôpital. L’urgentiste perçoit vaguement quelques craquements sourds en guise de battements cardiaques. Un vulcanologue qui ausculterait Jean  serait sur l’heure moins dépité que l’urgentiste médusé qui silencieux renvoie des signes de tête négatifs aux pompiers. Le cœur ne bat plus et pourtant Jean vit ce qui dessine des points d’interrogations dans les regards perdus du médecin. Ce pourrait-il qu’un homme se métamorphose en terre meuble de potager sans d’autres symptômes apparents qu’une perte de conscience de quelques instants et la croissance régulière de racines qui envahissent à présent ses bras ? Sans être pessimiste sur l’époque étonnante que nous traversons, les mutations observées chez Jean le temps de son transport défient toute théorie de l’évolution et l’urgentiste se prend à rêver d’un sas de protection. Il prend peur et ne trouve d’autres choses à dire qu’un « plus vite, plus vite… chauffeur » qui en dit long sur le self contrôle mis à mal par la situation. Un mutant ? Un petit gris ? Une caméra cachée ? Un cauchemar ? L’urgentiste cède à la panique et il ne pense plus : « Plus vite, chauffeur, plus vite… » et de grands yeux ronds qui ne rassurent guère la victime qui se sent déjà mieux et propose au médecin de couper les racines indolores mais ô combien encombrantes. La colère en retour de sa proposition sans la moindre tentative de rassurance. Dans chaque victime un coupable sommeille et Jean opère un retrait stratégique. Il décide de fermer les yeux et d’attendre prudemment de comprendre à quelle sauce il sera mangé quand la sirène enfin cessera de l’alarmer.

 

Si encore les racines sortaient par « le trou de balle » par la bouche ou par le nez on pourrait se pencher sur l’hypothèse de l’ingestion d’une plante parasite et passer au crible de scanners en tous genres le patient endormi pour le coup pour échapper aux regards suspicieux de l’équipe de blouses blanches.

 

Mais où donc se nicherait une plante dont les racines ont trouvé leur chemin pour ressortir sous les aisselles d’un homme dont le cœur ne bat plus et qui vit encore ? La question, pour peu médicale qu’elle soit, interpelle le professeur Grandjart, ancien interne des hôpitaux de Paris, conscient des répercussions conséquentes de son diagnostic sur son plan de carrière. Dieu lui a confié Jean pour qu’il guérisse et faire de Grandjart un professeur de réputation mondiale. Les oracles ont parlé, Grandjart veut triompher.

 

Il vérifiera tout et Jean devra supporter toutes les auscultations possibles et imaginaires que la science a inventées ! Il faudra avaler des caméras, passer du scanner à l’IRM et être échographié sous toutes les coutures. Et Jean devient l’objet d’une première médicale.

 

Quand Grandjart, le soir même, constate, déstabilisé jusqu’au vertige, ce qu’il convient d’admettre comme une réalité, il lance un appel international à toutes les facultés du monde. Un homme, présentement hospitalisé, âgé de 33 ans, vit avec un artichaut en bonne place et en guise de cœur ! L’émotion est générale. Les journalistes sont sur le pied de guerre. Les plus grands « pontes » du Monde entier établissent le contact, avec la réticence raisonnable de qui ne redoute rien de plus qu’une supercherie pour ternir une reconnaissance mondiale.

 

Ce sont les médecins cubains qui ont réagi les premiers. A Cuba serait présentement hospitalisée une femme vivante, au cœur de pierre, celle-ci.  La faculté cubaine avait choisi de taire cette réalité pour ne pas aiguiser  les mensonges outranciers répandus par l’Occident sur la réalité de l’île où les prouesses médicales défient le vieux monde sans que le vieux monde en parle.

 

Ce sont les américains, les californiens pour être plus précise encore, qui, en moins de 2 heures, ont décroché le marché. Quand on est le maître du Monde, le monde doit plier ! Tout au plus remercie-t-on Grandjart d’avoir eu le courage de prévenir le Monde d’une singularité à ce point sidérante qu’elle mérite les soins des facultés les plus riches et donc les plus pointues du Monde !

 

Un avion médicalisé est immédiatement affrété pour le transport en sécurité et outre-Atlantique de Jean. Un second avion médicalisé décolle de Cuba dans le même temps mais avec moins de publicité. Les cardiologues révisent ; les chirurgiens s’entraînent… Il faut disposer au plus vite de 2 cœurs avant que le soufflé retombe.

 

Dans la chambre d’hôpital, mixte pour la circonstance, un homme et une femme se rencontrent. Ils ont la même histoire. Ils attendent le même destin.

La femme au cœur de pierre voudrait un cœur en or ! Jean lui dit qu’à choisir, elle devrait en choisir un en diamant. Ils rient de bon cœur. A deux, on est plus forts.

 

─  Le diamant est éternel ! L’éternité vous tente ?

 

─  C’est vrai… Mais d’un autre côté, avec un cœur en or, le chirurgien pourrait y graver quelque chose !

 

─  C’est vrai… En tout état de cause, prions qu’on vous préserve votre beauté minérale… Elle fait chavirer mon cœur végétal ! Un cœur d’artichaut quand même… quand j’y pense, que va dire ma mère ?

 

─  Qu’elle songeait à l’amour quand elle vous a conçu… Si la mienne vivait, je n’ose pas  imaginer à quoi elle pensait pour donner à sa fille un cœur de pierre.

 

─  Cœur de bœuf… C’est le nom d’une tomate, non ? Ça me dirait bien.

 

L’infirmière, avec la bouche en cœur, entre dans la chambre.

 

─   Allons les amoureux, c’est l’heure de dormir ! Avalez ce somnifère et ne pensez plus à rien !

 

Longue vie aux heureux transplantés qui ne se quitteront plus, le cœur sur la main.



19/03/2015
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